L’employeur qui ne justifie pas avoir mis en œuvre les dispositions nécessaires de nature à garantir que l’amplitude et la charge du salarié en forfait-jours restent raisonnables, manque à son obligation de sécurité, signale la Cour de cassation dans un arrêt du 2 mars.
L’employeur est tenu de s’assurer régulièrement que la charge de travail du salarié en forfait-jours est raisonnable et permet une bonne répartition dans le temps de son travail (C. trav., art. L. 3121-60). Il doit, à cet égard, notamment respecter les clauses de l’accord collectif destinées à assurer la protection de la santé et de la sécurité des salariés. Une carence sur ce terrain serait en effet susceptible de priver d’effet la convention individuelle de forfait, ouvrant droit pour le salarié à un rappel de salaire au titre des heures supplémentaires (v. le dossier pratique -Temps trav., durée- nº 79/2021 du 29 avril 2021). Elle peut également caractériser, indique la Cour de cassation dans un arrêt du 2 mars, un manquement à l’obligation de sécurité ouvrant droit à réparation au titre du préjudice subi.
Aucune mesure visant à éviter une surcharge de travail
En novembre 2013, un médecin du travail salarié avait saisi la juridiction prud’homale de diverses demandes d’indemnisation au titre de l’exécution de son contrat de travail. Il se prévalait notamment d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité pour n’avoir pas pris les dispositions de nature à garantir, dans le cadre de son forfait-jours, que son amplitude et sa charge de travail restent raisonnables. Il assurait en effet, avoir alerté son employeur sur sa charge de travail et sur un manque d’effectif du service, sans que le stress engendré par cette situation n’ait été pris en compte, de sorte que sa santé s’en était trouvée dégradée.
Débouté en première instance, le salarié l’a également été par la cour d’appel qui a pourtant reconnu que l’employeur n’avait pas pris les dispositions nécessaires à garantir que l’amplitude et la charge de travail du salarié restent raisonnables, notamment en ne justifiant pas de l’organisation d’un entretien annuel, et qu’à ce titre la convention de forfait en jours était « nulle ». Mais, pour les juges du second degré, l’employeur n’avait pas pour autant manqué à son obligation de sécurité : d’une part, les alertes sur la dégradation de l’état de santé du salarié n’étaient apparues qu’à partir de juin 2013 et, d’autre part, en août 2013, l’employeur avait alerté le médecin du travail de l’intéressé sur la gravité de la situation après des courriers faisant état de sa « souffrance psychologique » et « d’idées noires ». Des éléments de nature, selon la cour d’appel, à démontrer que l’employeur avait satisfait à son obligation de sécurité.
Une analyse toutefois non partagée par la Cour de cassation, qui considère que l’employeur qui contrevient aux règles relatives au contrôle de la charge de travail du salarié en forfait-jours, manque à son obligation de sécurité.
Un manquement à l’obligation de sécurité
La Cour de cassation se fonde sur sa jurisprudence Air France relative à l’obligation de sécurité, rappelant ainsi que « l’employeur, tenu d’une obligation de sécurité envers les salariés, doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Il ne méconnaît pas cette obligation légale s’il justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du Code du travail ».
Aussi, poursuit la chambre sociale, dès lors que « l’employeur ne justifiait pas avoir pris les dispositions nécessaires de nature à garantir que l’amplitude et la charge de travail du salarié restaient raisonnables et assuraient une bonne répartition dans le temps du travail et donc à assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié », il en résultait que « l’employeur avait manqué à son obligation de sécurité ». Il appartenait donc à la cour d’appel de « vérifier si un préjudice en avait résulté », et d’allouer, le cas échéant, une indemnisation au salarié.
Peu importait donc que l’employeur ait finalement alerté le médecin du travail, il ne s’agissait pas d’une réponse suffisante à la situation du salarié dans la mesure où le suivi et l’organisation de la charge de travail lui incombent. L’employeur doit ainsi veiller à pouvoir justifier de mesures concrètes prises en matière de suivi de la charge de travail, qu’il s’agisse de celles prévues par l’accord collectif ayant institué le forfait-jours ou de celles qu’il prend en réponse au signalement d’une surcharge par le salarié.
Dans un précédent arrêt, la Cour de cassation avait déjà explicitement établi un lien entre le non-respect des garanties liées à la charge de travail du salarié en forfait-jours et l’obligation de sécurité, considérant qu’avait manqué à cette obligation un employeur qui s’était abstenu, en toute connaissance de cause, d’assurer un suivi de la charge de travail d’une salariée soumise à une durée du travail déraisonnable (Cass. soc., 10 octobre 2018, nº 17-10.248 PB).
