SANTÉ, SÉCURITÉ & TEMPS DE TRAVAIL

  • Une catégorie de harcèlement moral inédite a été mise au jour ces dernières années au travers des décisions de justice : le harcèlement managérial. Sa particularité ? Loin de constituer une dérive dans les relations entre deux individus, les mesures de gestion ou l’organisation du travail dénoncées peuvent concerner des services entiers.

Quelle est la spécificité du harcèlement moral managérial ?

La définition initiale du harcèlement moral empêchait une bonne partie des salariés d’obtenir justice. En effet, le fait qu’un supérieur hiérarchique parvienne à démontrer que d’autres salariés recevaient un traitement similaire pouvait faire obstacle à la reconnaissance du harcèlement moral. Les juges exigeaient en effet que le harcèlement soit individuel alors que le harcèlement moral a souvent des racines profondes dans l’organisation du travail, dans les formes de management.

Depuis 2009, il n’est plus nécessaire que le salarié soit l’objet d’un traitement différent de celui appliqué à ses collègues [Cass. soc., 10 nov. 2009, nº 07-45.321]. Autrement dit, les méthodes constituant le harcèlement n’ont plus à être « personnalisées » en s’adressant directement au salarié victime. La reconnaissance du harcèlement managérial devient possible, et les juges sanctionnent désormais des méthodes de gestion mises en œuvre par des supérieurs hiérarchiques, dès lors qu’elles répondent aux critères du harcèlement moral à l’encontre d’un salarié déterminé.

ATTENTION

Les termes de « harcèlement moral managérial » ne sont pas toujours utilisés explicitement par les juges pour désigner ses situations. La Cour de cassation en a cependant déjà fait usage[Cass. soc., 15 juin 2017, nº 16-11.503].

Ce n’est donc plus le comportement individualisé d’un harceleur à l’encontre d’une victime qui est en cause, mais des méthodes ou une organisation du travail « dépersonnalisées » qui sont mises en cause, en ce qu’elles peuvent aussi produire les effets d’un harcèlement moral sur le ou les salariés concernés.

Quand considère-t-on un salarié victime de harcèlement moral managérial ?

Le harcèlement moral managérial est avant tout juridiquement un harcèlement moral. Ce dernier est défini comme des agissements répétés, ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail du salarié susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel [C. trav., art. L. 1152-1].

Le harcèlement moral suppose, pour être caractérisé, des agissements répétés. C’est-à-dire qu’un acte isolé, même aux conséquences particulièrement graves, ne relève pas de cette qualification.

En outre une dégradation des conditions de travail est nécessaire. Cette dégradation est le plus souvent inhérente aux agissements reprochés au harceleur [Cass. crim., 25 juin 2013, nº 12-84.650 : les agissements vexatoires et déstabilisants du supérieur impliquaient, en eux-mêmes, des répercussions psychologiques de nature à dégrader les conditions de travail].

Quant à l’atteinte à la santé physique ou la dignité du salarié, la question est de savoir si ce comportement est, en soi, attentatoire à la dignité du salarié, et non pas de savoir si celui qui s’en plaint a le sentiment ou l’impression qu’il l’est [Cass. soc., 9 févr. 2010, nº 08-44.608]. Ce sont donc des actes bien précis que le juge va analyser. Un ressenti, une dépression, un découragement ne sont pas obligatoirement la preuve d’un harcèlement moral au travail [CA Toulouse, 13 oct. 2006, nº 05/02486].

Qui peut être auteur de harcèlement moral managérial ?

La loi ne dit rien de celui qui peut occuper le rôle de harceleur. Selon les situations, toutes les catégories de salariés, ainsi que l’employeur lui-même, peuvent jouer ce rôle. Dans le cadre spécifique du harcèlement managérial, le harcèlement est qualifié de « descendant » car le harceleur est souvent l’employeur lui-même ou son représentant (le chef d’entreprise). Ce peut être également un salarié, dès lors qu’il est le supérieur hiérarchique de la victime (son manager, par exemple) et qu’il participe de l’application de méthodes de gestion constitutives de harcèlement.

REMARQUE

Deux autres situations existent mais ne concernent pas le harcèlement managérial :

– le harcèlement moral ascendant : lorsque les harceleurs sont les salariés et la victime de harcèlement le supérieur hiérarchique ;

– le harcèlement moral horizontal : l’auteur du harcèlement moral est alors un simple collègue de la victime.

Quelles sont les différentes situations relevant du harcèlement managérial ?

Harcèlement moral managérial constitué par les méthodes de gestion. Il peut se manifester par :

– une autorité humiliante ;

– un management « par la peur » à l’échelle de l’entreprise ou d’un service ;

– une ambiance de stress ;

– une dévalorisation systématique des individus ;

– le dénigrement tour à tour d’une personne du service auprès des autres ;

– du fait de se livrer à des pratiques de nature à tester la résistance physique des salariés.

EXEMPLES

Constituent des situations de harcèlement managérial :

– le fait pour un directeur d’établissement de soumettre les salariés à une pression continuelle, des reproches incessants, des ordres et contre-ordres dans l’intention de diviser l’équipe, et s’agissant du salarié victime, le fait de le mettre à l’écart, d’afficher du mépris à son égard et d’imposer une communication par l’intermédiaire d’un tableau caractérisant une absence de dialogue [Cass. soc., 10 nov. 2009, nº 07-45.321] ;

– le fait de mettre à l’écart des salariés dont l’activité est également l’objet d’une forme d’espionnage, en vue de formuler des remontrances disproportionnées et injustifiées [Cass. soc., 23 juin 2016, nº 14-30.007] ;

– le fait pour une salariée de subir un accroissement des tâches, une multiplication de réunions, des courriels d’ordres et de contre-ordres, en l’absence de toute considération [Cass. soc., 8 nov. 2011, nº 10-15.834] ;

– l’impulsivité coutumière d’un directeur de société à l’encontre de ses subordonnés ayant conduit à un incident lors d’une réunion du comité de direction à propos des congés d’une salariée, laquelle a été placée en arrêt maladie [Cass. soc., 21 mai 2014, nº 13-16.341] ;

– le fait de placer les salariés ayant refusé un transfert de leur contrat de travail à une filiale dans un bâtiment préfabriqué dénué de sanitaire, sans éclairage ni chauffage [Cass. soc., 31 mars 2010, nº 09-40.739].

Harcèlement moral managérial organisationnel. L’illustration la plus parlante de cette notion est le médiatique procès France Télécom. Dans cette affaire, la source du harcèlement managérial ne se trouve pas seulement dans un mode pathogène de management du personnel de l’entreprise, mais plus largement dans l’organisation globale de cette dernière, via son « plan de gouvernance » imposant des choix administratifs et organisationnels maintenus en dépit des difficultés relationnelles au sein de l’équipe de la direction et de ses rejaillissements dans le climat global. La politique de ressources humaines menée et assumée avait pour objet le départ de 22 000 salariés, et avait eu pour effet de déstabiliser le personnel, créant un climat anxiogène et provoquant plusieurs suicides et de nombreux arrêts de travail [Cass. crim., 5 juin 2018, nº 17-85.524].

Comment répondre à une situation de harcèlement managérial ?

Mécanismes d’alerte

Droit d’alerte du salarié. Le salarié a la possibilité de dénoncer les situations de harcèlement dont il est victime. En pareil cas, dès lors qu’il refuse de subir ces mesures, ou simplement les relate ou en témoigne de bonne foi, le salarié est protégé contre toute mesure de représailles [C. trav., art. L. 1152-2]. L’ensemble des protections dont bénéficient les lanceurs d’alerte est alors accordé au salarié (voir Le Mémo Social 2022, nº 1089).

REMARQUE

En cas de contentieux ultérieur, les règles de preuve sont aménagées au profit du salarié, qui est seulement tenu d’apporter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement [C. trav., art. L. 1154-1].

Le salarié peut aussi user de son droit de retrait d’une situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé [C. trav., art. L. 4131-1]. Aucune sanction ne peut alors être retenue contre le salarié [C. trav., art. L. 4131-3].

Droit d’alerte « atteinte aux droits des personnes » des membres du CSE. Si un membre de la délégation du personnel au comité social et économique constate, notamment par l’intermédiaire d’un travailleur, qu’il existe une atteinte aux droits des personnes, à leur santé physique et mentale ou aux libertés individuelles dans l’entreprise qui ne serait pas justifiée par la nature de la tâche à accomplir, ni proportionnée au but recherché, il en saisit immédiatement l’employeur [C. trav., art. L. 2312-59]. Cette atteinte peut notamment résulter de faits de harcèlement sexuel ou moral. L’employeur procède sans délai à une enquête avec le membre de la délégation du personnel du comité et prend les dispositions nécessaires pour remédier à cette situation.

Droit d’alerte « danger grave et imminent » des membres du CSE. Une procédure d’alerte peut être déclenchée par un représentant du personnel au comité social et économique qui a constaté lui-même, ou par l’intermédiaire d’un salarié ayant exercé son droit de retrait, une cause de danger grave et imminent [C. trav., art. L. 2312-60].

Intervention du médecin du travail

Une situation de harcèlement moral classique mettant en péril la santé physique ou mentale d’un salarié autorise le médecin du travail à proposer à l’employeur des mesures individuelles telles qu’un aménagement, une adaptation ou une transformation de son poste [C. trav., art. L. 4624-3]. Pour autant, si le harcèlement dénoncé relève de la catégorie de harcèlement managérial, la pertinence d’une approche individuelle doit être questionnée. En pareil cas, le médecin du travail, alerté le cas échéant par les salariés ou leurs représentants, peut constater la présence d’un risque pour la santé des travailleurs. Il propose alors des mesures visant à préserver cette santé, dans un écrit motivé et circonstancié transmis à l’employeur qui prend en considération ces propositions, ou fait connaître les raisons qui l’en empêchent selon lui [C.trav., art.L. 4624-9].

ATTENTION

Le CSE, l’inspecteur du travail, le médecin inspecteur du travail et les agents de la Carsat sont alors informés des échanges entre le médecin du travail et l’employeur.

Médiation

Une procédure de médiation peut être déclenchée tant par celui qui s’estime victime de harcèlement moral que par la personne mise en cause. Le choix du médiateur doit faire l’objet d’un accord entre les parties [C. trav., art. L. 1152-6]. Ces modalités peuvent être adaptées au règlement d’une situation de harcèlement moral classique mais posent plus de difficultés dans les situations de harcèlement moral managérial. En effet, lorsque l’organisation du travail elle-même contribue à l’apparition du harcèlement, l’identification d’une personne à mettre en cause autre que l’employeur peut s’avérer délicate.

Prévention et pouvoir disciplinaire de l’employeur

Prévention. L’obligation de prévention des risques professionnels, et singulièrement du harcèlement moral, repose sur l’employeur. Celui-ci doit prévenir tout harcèlement moral, en mettant en œuvre toutes les dispositions nécessaires [C. trav., art. L. 1152-4].

REMARQUE

L’employeur associe à sa démarche d’autres acteurs : le CSE, mais aussi le médecin du travail ou encore l’inspecteur du travail.

La politique de prévention de l’employeur passe par des obligations d’informations : affichage des articles du Code pénal dans les locaux de travail avec les coordonnées des autorités compétentes [C. trav., art. L. 1153-5 et C. trav., art.D. 1151-1] ; et mention des règles du Code du travail dans le règlement intérieur [C. trav., art. L. 1321-2]. L’employeur peut compléter ces informations par des rappels, par l’organisation d’une procédure claire à destination des salariés victimes, ou par la fixation de sanctions.

Plus largement, l’employeur est tenu d’assurer une sensibilisation de ses salariés sur le sujet du harcèlement : maîtrise de la législation en vigueur, identification des situations ou encore bonnes pratiques pour y réagir sont autant de pistes à explorer. Toutes les actions utiles, notamment de formation, contribuent au respect de l’obligation de sécurité de l’employeur. Pour prévenir le harcèlement managérial, ces formations doivent logiquement se concentrer sur les managers eux-mêmes. Ceux-ci doivent disposer des outils et des méthodes leur permettant de mener à bien leurs missions sans que leurs pratiques ne dérivent vers des formes de harcèlement.

La question du harcèlement managérial et a fortiori organisationnel impose aussi à l’employeur de s’interroger sur ses propres pratiques. Parce qu’il a la main sur l’organisation du travail et les directives passées aux managers et répercutées ensuite à l’ensemble des salariés, l’employeur lui-même doit s’assurer qu’il ne promeut pas une politique des ressources humaines susceptible de générer des situations de harcèlement.

Sanction. Lorsqu’un salarié se livre à des agissements de harcèlement moral, il commet incontestablement une faute passible d’une sanction disciplinaire [C. trav., art. L. 1152-5]. Cette sanction est même considérée comme impérative par les juges dans une optique de prévention et de respect par l’employeur de son obligation de sécurité [Cass. soc., 29 juin 2022, nº 21-11.437].

ATTENTION

La spécificité du harcèlement managérial tient dans son ancrage dans l’organisation du travail, qui peut conduire à ce que l’environnement dans son ensemble, plutôt qu’une personne en particulier, soit la cause du harcèlement. D’où l’importance pour l’employeur, qui peut être lui-même à l’origine de la situation, de remettre régulièrement ses méthodes en question afin d’éviter qu’elles dégénèrent vers des situations de harcèlement.

source: https://www.liaisons-sociales.fr/sp/2022/11/21/harcelement-managerial-comment-le-cerner-pour-mieux-s-en-premunir

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